Je suis arrivé en pédiatrie à l’hôpital Bon Secours fin 1998. Je venais de travailler pendant près de 5 ans en réanimation néonatale dans la maternité régionale de Nancy. Monde technique où les vies de tout petits se jouent, entre lumières éblouissantes des néons, sonneries stridentes d’alarmes, souffles incessants de respirateur, brouhahas étouffés des adultes…
Arrivés depuis seulement quelques jours en néonatologie à Metz, au détour d’un couloir, dans le calme du soir, mon attention fut attirée par une musique douce qui s’égrainait tranquillement. Là, entre deux incubateurs, s’était installée une jeune musicienne avec une mini-harpe. Les notes mélodieuses s’envolaient dans le service, frivoles, complices, gaies et graves en même temps. Je restais un moment, suspendu, à regarder la jeune artiste dont les doigts dansaient sur les cordes de la harpe avec agilité et grâce, d’où s’échappait cette musique aérienne. Les deux nouveau-nés ne bougeaient pas, leur rythme cardiaque tranquillement posé sur les écrans des moniteurs. Dormaient-ils, bercés par la mélodie, ou écoutaient-ils ces notes régulières, rappel harmonieux de leur passé foetal?
Je venais de rencontrer les acteurs de la Pédiatrie Enchantée. Depuis ce jour là, j’ai appris tout doucement à les connaître, les apprécier et les accompagner dans les limites de mes maigres possibilités (je dois dire que je ne suis pas musicien, à mon grand regret d’ailleurs).
La Pédiatrie Enchantée, c’est d’abord un groupe d’adultes dont le but est d’aider et d’accompagner les enfants dans un moment plus difficile de leur vie. Le noyau est né d’un service hospitalier, de quelques personnes travaillant auprès des jeunes malades qui ont eu envie d’apporter autre chose aux enfants que les soins professionnels. Puis rapidement se sont joints d’autres membres, proches de l’hôpital ou venant d’horizons très différents mais mus par la même envie d’apporter de soi dans un projet concret autour de l’enfant malade. Que de visages différents, que d’engagement bénévole ont tissé patiemment l’association et lui ont permis de poursuivre cette activité, en agrandissant de plus en plus les lieux d’intervention autour des enfants. C’est déjà là une réussite humaine, avec ses joies et ses peines, ses rires et ses coups de gueule, ses enthousiasmes et ses déceptions (heureusement rares, souvent liées aux problèmes financiers, noeud de la guerre comme toujours!).
La Pédiatrie Enchantée, c’est bien sûr des artistes, socles du projet. Car l’intention a toujours été d’apporter à l’enfant hospitalisé une activité artistique, proposée par des professionnels. Gageure toujours renouvelée, les acteurs ont été trouvés, accompagnés, dirigés vers ces représentations un peu particulières, dans des lieux et devant des publics parfois déstabilisants pour les artistes. Tout un art en lui même de trouver sa place auprès des enfants, parfois spectateurs, parfois acteurs, parfois fatigués ou apeurés, parfois envahissants… Musiciens, peintres, cuisiniers… tous pratiquent leur art avec passion, comme le montre les témoignages.
La Pédiatrie Enchantée, c’est aussi le personnel des hôpitaux. Tous, Puéricultrices, Infirmières, Auxiliaires de Puériculture, Educatrices, Médecins Pédiatres, Administratifs rendent possibles ces moments privilégiés, aménageant leur travail au gré des rencontres des enfants avec les artistes.
La Pédiatrie Enchantée, c’est enfin des enfants et des adolescents qui se retrouvent à un moment de leur jeune vie entre les murs de l’hôpital. Combien, depuis les années que la Pédiatrie Enchantée agit, ont pu rencontrer ces artistes, chantonner, danser ou simplement se laisser emmener sur un air de musique, taper sur un tambour, agiter une maracas ou pincer une corde accompagnés par un artiste professionnel, tracer des coups de pinceau sur une feuille et découvrir un jour leur oeuvre encadrée et affichée sur un mur de l’hôpital ou même de la mairie, créer des oeuvres culinaires alors que la nourriture nourrit leurs angoisses? Combien de visages d’enfant se sont succédés pendant ces années, de moment de vie à part dans ces longues journées qui rythment l’hospitalisation?
En repensant aux deux petits prématurés qui ont débuté cette histoire pour moi, je me demande ce qui leur reste de ce moment privilégié de rencontre avec la musique d’une jeune harpiste. Difficile à dire! Mais je pense qu’il est là, au fond de leur être, comme un moment magique où l’art est venu s’inviter au creux de leurs oreilles si neuves, au début si chaotique d’une nouvelle vie.
Dans le service de pédiatrie de l’hôpital Bon Secours, les artistes viennent régulièrement rencontrer les enfants hospitalisés. Toute l’équipe soignante apprécie toujours ces moments, les enfants et leur famille encore plus. A l’aube de l’ouverture d’un nouvel hôpital, c’est probablement un des projets principaux que nous déménagerons en premier! C’est d’ailleurs grâce à la Pédiatrie Enchantée et à ses partenariats que nous pourrons décorer le service d’hospitalisation et le secteur d’Urgences d’une fresque monumentale.
Alors encore merci à la Pédiatrie Enchantée (et principalement à Nora Celeski sans qui rien n’aurait probablement existé et perduré) et il nous faut remonter nos manches pour que continuent à vivre cette association et ces moments artistiques rares pour les enfants et adolescents que nous soignons.
M. Nicolas BILLAUD, Pédiatre Néonatologiste Chef de Service de Pédiatrie CHR Metz-Thionville